Le débat qui oppose les mangeurs de viande et les végétariens ne peut éviter l’idéal essentialiste de l’homme à travers lequel il est, grâce à un darwinisme simpliste et simplifié, placé naturellement en haut d’une chaîne alimentaire. Les défenseurs du carnivorisme n’hésitent jamais à invoquer la nature biologique de l’homme, son essence animale, dont le caractère le plus original car le plus ancestral serait celui que l’on partage encore avec notre grand ancêtre : l’homme des cavernes, l’hominidé chasseur de viande. Loin de moi l’idée de vouloir refaire l’histoire, la préhistoire ou la paléontologie, posons-nous simplement ces quelques questions : qu’avons-nous aujourd’hui encore en commun avec cette projection historique d’une espèce d’hominidés chasseuse de proies ? Jusqu’où peut-on pousser cette comparaison, sur le plan social, biologique, philosophique ? Notre évolution phylogénétique suit-elle le développement, le déroulement, le dévoilement d’une quelconque essence ? Ne sommes-nous seulement que la réalisation d’une nature définie, finie ? Peut-on au contraire un jour enfin espérer s’affranchir de l’idée de nature des choses en soi et penser l’homme moderne comme un produit de sa subjectivité, de son monde, de ses relations sociales, de ses représentations intellectuelles et sensibles ?
« L’homme devrait continuer à manger de la viande parce que c’est ce qu’il fait et c’est ce qu’il a toujours fait ». Il y a dans cette phrase qui revient comme une prière quelque chose de pas très logique derrière l’implicite nécessité… Premièrement vouloir assurer le droit ou le devoir moral par le fait est fortement contestable d’un point de vue philosophique ou politique c’est une justification dans le vent. Les questions d’éthique ne peuvent se contenter de suivre des descriptions mais cherchent à établir les prescriptions pratiques. Ensuite, si l’homme mange de la viande, certes certains le font c’est le cas de la majorité, ça ne concerne pas la totalité de l’humanité. La consommation de viande n’a pas toujours été pour tout le monde une nécessité mais surtout un luxe et le simple fait qu’une partie de la population soit végétarienne par conviction ou par condition suffit à remettre en cause l’idée d’une nécessité. Troisièmement si nous affirmons que l’homme a toujours mangé de la viande, nous supposons une histoire de l’homme. Doit-on alors faire commencer l’humanité à partir du moment où un singe aurait chassé une autre bête (ou un individu de son espèce) ? De quoi parle-t-on quand on parle de l’homme ? Ce qui nous renvoie à notre question première et cette idée d’un mythe du chasseur. A quel point peut-on parler d’humanité quand on parle du « premier homme » ? Enfin… admettons que ce soit le cas, que nous définissions homme cet être poilu, fièrement dressé sur ses pattes arrières, avec ses pouces opposables et sa boîte crânienne proéminente. Nous serions d’accord pour décrire une expérience de chasse mettant en rapport l’individu humain avec l’animal chassé dans une dynamique d’opposition violente, de survie, entraînant la mort directe par la volonté du tueur. Cette volonté de tueur n’est pas à nier, elle est même sûrement indéniable car majeure partie du package miracle qui fait de l’homme un être à part. Mais sommes-nous encore des hommes comme ça ?
Où est passé notre esprit de chasse ? Notre virilité ? J’ai beau regarder, chercher, observer, analyser, je ne vois pas dans toute cette gigantesque et macabre industrie mondiale de la viande où est passée notre fameuse nature de chasseur. Nous sommes des tueurs, bon sang ! Qu’attendons-nous pour aller tuer les lapins et les manger ? Si c’est vraiment ça la nature humaine, pourquoi rendre si opaque la marchandisation de l’animal ? Pourquoi regretter de manger du cheval plutôt que du bœuf ? Pourquoi refuser de voir la réalité en face ? Car non découper des steaks hachés ou des blancs de poulet n’a rien de cruel puisque ce n’est pas ôter la vie. Si nous étions vraiment des chasseurs nous passerions des journées entières à ne rien faire, à apprendre à connaitre les animaux, leurs modes de vie, leurs déplacements, leurs cris. Nous apprendrions à mieux les connaitre pour les tuer mais aussi pour ne pas se faire tuer, nous les respecterions. Que reste-t-il de tout ça ? Des miettes cognitives, des capacités éparses et vides. Notre obstination pour le mouvement nous dirons certains, des réflexes musculaires, allez savoir… Qu’en est-il vraiment ?
Il n’y a pas de nature humaine fixe. Si nous pouvons facilement affirmer qu’un jour un ancêtre de notre espèce a été chasseur d’ours, cela ne nous empêche en rien de pouvoir nous affirmer différents aujourd’hui. L’analogie est simple avec l’esclavage et la croyance naïve de l’existence d’une race supérieure. Même si dans les faits des populations noires ont été traités de manière inférieure, cela ne constitue en rien un argument suffisant. Tout ça ne représente que des images, des mythes que nous attribuons à des idéaux qui nous servent de justifications pour des actes dont nous refusons le jugement moral, ou pour lesquels le changement semble tellement coûteux que nous préférons les enrober d’histoire et d’immuabilité comme pour les rendre intouchables, indestructibles. Nous sommes pourtant, en tant que représentants de l’espèce humaine, les individus qui avons le plus marqué l’histoire du vivant par le changement, la manipulation et l’appropriation des lois mêmes de la nature !
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Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
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