Le 13 février a eu lieu à Rennes un rassemblement pour demander qu’un procès ait lieu : le procès d’un hôpital qui est accusé d’être responsable de la mort de Florian.
Florian avait 23 ans quand il est mort à l’hôpital Guillaume Regnier à Rennes, des suites de complications liées à la prise de Clozapine, un neuroleptique connu pour ses effets secondaires dangereux et qui ne peut être prescrit que dans un environnement hospitalier. Ce médicament peut provoquer de très graves troubles connus et documentés, d’où l’obligation d’un suivi.
Problème, ce suivi de base n’a pas été fait à l’hôpital. Pire même, des documents que Vindicte a pu consulter montrent que des informations inventées ont parfois été ajoutées au dossier médical, pour faire croire à un suivi pourtant imaginaire. Plutôt que de faire le suivi (prise de poids, prise de sang, constantes), le chemin suivi par le personnel médical a été de ne rien faire.
Florian est mort d’une défaillance polyviscérale. C’est une mort avec de nombreux symptômes avant-coureurs : la pâleur, le pouls, la tension auraient dû amener les médecins à des examens plus approfondis qui auraient évité la mort. Or, Thérèse, la mère de Florian, dénonce non seulement l’absence de suivi de la part de l’hôpital, mais encore l’aveuglement des médecins qui, pendant plusieurs semaines, se sont accommodés de la situation, alors que du bon sens aurait suffi à éviter le pire.
Pour Sophie*, une ancienne infirmière au Centre Hospitalier Guillaume Regnier, « c’est la jungle dans cet hôpital. Il y a des clans, c’est comme une prison, il faut bien s’entourer pour survivre. » Selon elle, c’est une situation courante dans les hôpitaux psychiatriques. « Rien n’a changé par rapport aux asiles, on a juste enrobé ce qui se passe d’un discours médical. » Symbole de cet héritage, les hôpitaux psychiatriques sont pour la plupart situés dans les mêmes bâtiments que les anciens asiles de fou.
Y a-t-il trop de morts dans les hôpitaux psychiatriques ? « Il y a des salles entières de patients décédés. Tu rentres en psychiatrie, on te donne des médicaments et on arrête tous tes autres traitements. Ce qu’ils veulent, c’est te voir en tant que malade psychiatrique. On va tout faire pour te coller un diag. » Une situation confirmée par Thérèse : « les psychiatres se méfient des psychologues, parce qu’ils ne sont pas soumis à la hiérarchie médicale. »
Le taux de mortalité en psychiatrie est d’environ 10,7 %, selon une étude de la Fédération de recherche en psychiatrie et santé mentale du Nord-Pas-de-Calais. Le lien entre la surconsommation de psychotropes et la mortalité est régulièrement dénoncé. Les morts iatrogènes seraient jusqu’à 10 fois supérieurs en hôpital psychiatrique par rapport aux hôpitaux généraux.
Parler de ce problème ? « Soulever un problème, c’est se faire virer », nous répond cash Sophie. Et pour les patients ? « Les infirmiers ont leurs têtes, et les patients n’ont pas intérêt à entrer en conflit avec. Sinon, c’est encore plus de médocs et pas de permission de sortie. » Une situation qui dérape fréquemment, mais qui est couverte par la hiérarchie et par la justice. « Qui on va croire ? », résume Sophie.
« La question de l’homicide volontaire, on en fait un sujet tabou », dénonce Thérèse. En cause, une attitude de certains psychiatres qui choisiraient les malades qu’ils veulent traiter, tout en laissant les autres à leurs sorts.
Un manque de professionnalisme criant, dont la cause pourrait être un déficit organisationnel au sein de cet hôpital, mais plus généralement un manque de médecins et des infirmières qui ne font plus leur travail. Il y a peu de personnel par patient, ce qui conduit médecins et infirmières à prioriser les patients traités. « Les infirmières en ont marre, » explique simplement Sophie.
L’Agence Régionale de Santé (ARS) reconnaît d’ailleurs dans une lettre que Vindicte a pu consulter le lien direct entre la mort de Florian et l’absence de suivi. Mais elle refuse d’aller plus loin, mettant sa mort sur le compte de la malchance : « la prise en charge du problème médical somatique (en l’occurrence les effets secondaires de la mise sous Clozapine) n’a pas été conduite suffisamment précisément et a pu contribuer in fine a une perte de chance pour le patient. »
Pourtant, pour Thèrèse, la mère du défunt, on a bien à faire à une négligence criminelle. Comment en effet parler de « perte de chance » quand toutes les conditions sont réunies pour que le drame se produise ? « C’est comme une roulette russe, » explique Thérèse. Une expression qu’utilise également Sophie, l’ancienne infirmière de l’hôpital psychiatrique.
Dans le cas de beaucoup de neuroleptiques, y compris la Clozapine, il n’y a pas toujours d’effets secondaires graves. Les effets ne sont pas toujours létaux, mais on sait pourtant que, statistiquement, l’absence de surveillance est vouée à tuer. D’ailleurs, la notice éditée par l’hôpital le dit clairement : dans le cas de l’administration de Clozapine, « il est vital de dépister et de traiter la constipation. »
Des effets étaient bien visibles dans le cas de Florian : prise de poids, constipation. Même si le personnel soignant n’effectuait pas la pesée pourtant réglementaire du patient, sa prise de poids rapide était largement visible à l’œil nu, particulièrement pour le personnel qui effectuait sa toilette quotidienne. Ce symptôme a du reste été signalé par la mère de Florian au médecin en charge qui ne l’a pas pris en compte. Alors que le dossier médical indiquait un poids de 67 kg le jour de sa mort, sa mère l’avait pesé la veille et observait un poids de 75 kg.
Thérèse nous montre son dossier qu’elle a constitué, avec patience et sans jamais rien céder. Elle n’abandonne pas : des détails troublants montrent que l’autopsie aurait été conduite de manière à décharger l’hôpital, selon elle. Ainsi, « l'autopsie donne des infos sur l'œsophage et la trachée différentes de celles du médecin du Samu qui a déclaré le décès, à savoir que la trachée est encombrée de liquide gastrique et biliaire, » nous explique-t-elle, un peu agacée qu’on ne comprenne pas plus vite.
Thérèse, mère de Florian, compulse ce dossier qu'elle connaît sur le bout des doigts.
D’autres détails sur les lieux du décès et les habits de Florian troublent Thérèse, et force est de constater que le corps médical répond peu, et avec beaucoup de mépris aux questions de Thérèse et des proches de Florian. Thérèse dénonce donc une volonté de se couvrir entre collègues, qui semble courante dans le milieu. Une pratique que Sophie confirme : « on ne rentre pas en conflit avec les confrères ».
Dans le cas d’une plainte, Sophie nous affirme que la stratégie est rodée. « Ils [l’hôpital, ndlr] vont démonter la famille au procureur. Ils gagnent, et la famille est détruite. » L’hôpital n’écoute pas le patient, ni ses proches. « Ce qui arrive au patient, tout le monde s’en fout. La maladie psychiatrique, c’est une épée de Damoclès, une étiquette à vie qui protège l’hôpital et le personnel médical. »
98 % des dossiers médicaux sont mis en échec devant la justice. Le 13 mars, un délibéré doit décider, plus de 10 ans après la mort de Florian, si un supplément d’information va être requis par la justice contre le médecin qui était responsable de Florian. Thérèse, fatiguée, nous le promet : « ce combat, c’est pour Florian, mais c’est aussi pour tous les Florian. »
* le prénom a été modifié
Mise à jour (30 juin 2023) : suite au signalement d'un lecteur, nous avons procédé au retrait de la référence à la CCDH, organisme lié à la secte de la scientologie. Cet organisme dénonce des pratiques de la psychiatrie et prétend décrire un complot des psychiatres qui seraient responsables de tous les maux de la Terre. Leur objectif est clair : obtenir l'assentiment de personnes en situation de faiblesse pour les recruter au sein de la secte de scientologie. Vindicte s'oppose à la confusion entretenu par cet organisme, et nous ne souhaitons pas lui faire ici de promotion.
Tu peux laisser un message. Ça fait plaisir !
Bonjour,
Je vous remercie de votre article sur lequel je suis tombée à la suite d'un tweet de Frédéric Mathieu suite à sa visite au CHGR Guillaume Regnier..
Il est probable que mon message pourrait devenir incohérent, je m'en excuse par avance. Je souffre de troubles bipolaires, une des pathologies (commorbidité) est l'alcoolisme, parfois dont ce soir car mes émotions ont été ébranlées à la lecture de cet article (cette fragilité de ce moment n'est pas de votre fait).
Il y a fort longtemps que je garde sous le coude le besoin, d'un jour, dénoncer des pratiques de maltraitance que j'ai vécu ou été témoin dans cet HP.
Il m'était impossible de le faire car il me fallait me protéger de cette institution et d'autres au passage le temps que mes enfants grandissent et que je puisse, enfin, reprendre confiance en moi.
Comme tant d'autres personnes, j'ai fait quelques séjours là-bas (en 20 ans, au moins 12, je n'ai pas envie, ce soir de les comptabiliser).
Pour la petite histoire, et ironie du sort, avant d'y aller, j'y avais effectué mes trois stages d'élève-infirmière suite à une reprise d'études sur le tard.
Depuis les années 80, les hp ont été sectorisés. Quelque soit la pathologie, lorsque tu y débarques, tu atterri dans un service dit d'entrant (entrant qui peut durer des mois...).
Bien sûre, comme c'est mon cas à chaque fois, et là, ce n'est de la faute de personne, j'y arrive très délirante.
Comme c'est une urgence médicale, c'est "au petit bonheur la chance" d'avoir un lit dans un service qui a encore une place.
Il y a 20 ans, il était plus facile d'être directement collé dans le service de son secteur géographique.
Facile mais dans quelles conditions de prise en charge ???
Je me souveint de ce mois de janvier 2003. On m'a collée dans une chambre de 3 femmes, mon lit était entre elles deux qui avaient appris à s'apprivoiser.
L'une des deux était SDF et ne pouvait dormir qu'avec la fenêtre ouverte (façon hp).
Je les dérangeais dans leur fonctionnement que je comprend mais j'avais très froid et elles deux me faisaient peur.
Petit à petit, je suis redescendue de ma "planète", j'ai commencé à faire mon trou...
Il y avait encore une salle fumeur (service fermé) et je n'avais pas le droit de sortir.
Ceux qui en avaient l'autorisation revenaient bien souvent avec de l'alcool et du cannabis.
L'équipe soignante faisait semblant de ne pas sentir les odeurs de shit (comme si ça ne sentait pas malgré les déodorants d'intérieurs bon marché, c'était le "jeu").
De toutes façons, ces mêmes soignants passaient tellement de temps entre eux, à bavasser sans s'occuper de nous qu'il était préférable pour eux de nous lâcher la grappe pour mieux les laisser être payés à ne rien "branler".
Il faut savoir que dans cet hp, et c'est encore d'actualité, les malades mangent dans des salles communes, mettent la table, débarrassent (il y a encore 10 ans, c'était aussi à nous de balayer et laver le sol de cette salle commune). Les lave-vaisselle de chaque unité sont tels, encore à ce jour, qu'il relaver les couverts et essuyer la vaisselle.
Bien sûré, dés que je vais mieux, j'ai la fâcheuse tendance à contester.
J'argumente en disant que dans les services de soins "physique", les personnes malades ne sont pas utilisée de cette sorte.
L'argument de choix est qu'il ne faut pas que nous perdions nos habitudes de vie.
Bien sûre, prenez-moi pour une couillonne, j'aurai préféré la franchise de me dire que nous sommes économiques et que la direction est épargnée d'embaucher du personnel de plus....
Oui, je ne sais pas me taire une fois que je vais mieux, là-bas.
Des revendications sur les conditions de prise en charge, j'en ai beaucoup à mon palmarès. Toujours la peur au ventre car réside toujours la peur des écrits sur les transmissions. En effet, beaucoup de soignants préfèrent se protéger eux et écrire de fausses informations. Bien des médecins psychiatres ne tiennent compte que de ces écrits (augmentation des doses des traitements etc). Je dois dire que c'est un peu moins le cas à ce jour. En effet, les dinosaures psychiatres sont partis avec, un peu de chance, il est possible d'être face à un médecin humain et à l'écoute). Mais il reste toujours des équipes soignantes soudées dans ce rien à faire des personnes malades. Les IDE, aides-soignant(e)s etc... professionnels encaissent et souffrent de ce manque de professionnalisme de leurs collègues (j'en ai assez parlé avec certains, c'est triste car si nous n'étions entourés que par ces personnes, notre santé mentale serait améliorée).
Je pourrai encore écrire des pages et des pages..
Je vais en finir sur un exemple (parmi tant d'autres) de maltraitance.
Il y a presque 4 ans, un de mes proches a dû être hospitalisé en urgence. Urgence veut alors dire d'arriver sans rien (vêtement de rechange, affaires de toilette, argent, tabac ).
Son état de santé a justifié une mise en "chambre d'apaisement" (apaisement surtout pour ne pas déranger le personnel et perturber les autres patients dans une unité bien mise au pas... Charger à bloc ce jeune alors qu'il était dans un grand flou, son épisode de maladie du moment n'allait pas l'aider).
Bref, fragilisée car cette situation m'affectais, j'ai demandé à une amie de m'accompagner pour lui apporter quelques affaires. J'appelais le service tous les jours pour m'informer de sa santé et surtout bien surveiller sa prise en charge, j'en connais trop les dérives.
J'en passe sur combien j'étais mal reçue surtout dans ce service dont je dépend aussi.
Ce jour, ça faisait environ 10 jours que ce jeune était à l'isolement, nous avons attendu dans la salle commune. Mon amie qui découvrait ce type de lieu a été éffarée des locaux et cette ambiance nauséabonde.
A ce moment, une personne a pêté un cable, intervention (necessaire) des gros bras de l'unité voisine. Impressionnant et bien flippant, surtout pour mon amie. Je ne suis pas blindée, mais j'ai un peu trop souvent vécu cette peur au ventre en étant hospitalisée.
Je ne sais pas si cet évênement qui a provoqué ça mais il m'a été proposé de pouvoir voir le jeune (je n'avais pas trop envie de le dire mais il s'agit de mon fils alors âgé de 24 ans).
Il est sorti de sa chambre d' "apaisement" tout gêné dans son pyjama bleu, le pantalon trempé de son urine. Depuis ces 10 jours, personne ne lui avait fourni d'urinoir et là, je me suis fâchée.
Fâchée tout en gardant mon sang froid (avec mon dossier psy, je suis moins crédible que d'autres).
J'ai demandé comment il était possible que dans un si grand hôpital, il ne soit pas possible de fournir un urinoir.
Soit-disant que celui du service n'avait plus le bouchon etc... et mois d'encore dire qu'il ne fallait pas me faire croire qu'il leur était impossible d'en récupérer un.
J'étais bien consciente que c'était une forme non seulement de négligeance mais aussi de manipulation. Le médecin psy n'était pas sencé savoir que cet objet était absent et qu'il serait facile de noter, le patient urine sur lui etc.... Et hop, on le garde dans cette pièce et on le cachtonne davantage...
Comme c'est bizarre, sic..., j'ai pu passer une heure avec mon fiston qui a pu aller sur la terrasse fumer, discuter et se sentir rassurer.
"Miracle", un urinoir est arrivé durant ce temps, mon fils est sorti peut-être le jour même de cette cellule.
La bataille a continué envers l'équipe, certains ont essayé de me déstabiliser....
Des situations comme ça, qu'elles été vécu personnellement ou indirectement envers mon fils ou d'autres personnes malades, j'en ai encore beaucoup.
Il est tard, si ça vous interesse, je pourrai y revenir.
Merci encore,
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
Notre ligne politique - À propos de nous - contact@vindicte.com