Elle a 12 ans.
Elle parle devant les représentants de l'État de Virginie de l'Ouest. C’est Addison Gardner.
Des dizaines de personnes se sont manifestées à cette audition publique, pour exprimer leurs craintes face à cette proposition de loi qui allait bannir l’avortement. La loi – la proposition de loi 302 – au final, est passée.
Elle doit interdire presque tous les avortements, à part dans des cas d’urgence médicale, de grossesses extra-utérines, ou de fœtus jugés non viables.
La plupart des enfants de 12 ans ne s’occupent pas des affaires politiques, ou des lois qui passent dans leurs États. Nulle part dans le monde.
Elle a l’air pourtant bien informée, Addison Gardner. Elle comprend les conséquences. Et elle a le courage d’aller s’exprimer, avec brio et éloquence, devant les représentants de son État.
Quel est le degré d’hypocrisie quand ces décideurs disent qu’ils passent cette loi pour « protéger la vie » ? Quel est le degré d’hypocrisie en France quand Macron prétend défendre l’avortement et quand Marine Le Pen parle d’« avortement de confort » ?
À 12 ans, on est trop occupés par le regard des autres. Qui ose dire haut et fort ce qu’on croit être juste et bien, à cet âge-là ? Il a dû lui en falloir, de la force. Elle mérite tout le soutien qu’on peut lui apporter. Cette confiance en elle qu’elle a maintenant, je lui souhaite de la garder et de continuer de se battre comme elle le fait. Elle est un modèle pour moi.
En France, on trouve encore normal de lire des listes d’exceptions légitimes, des cas où on doit autoriser l’avortement, et d'entendre l’odieuse expression d’avortement de confort pour les autres cas. Le discours est encore très commun qui dit que l’avortement est un dernier recours et qu’il y a des abus, quand même, en France. Soyons clairs : chaque fois qu’on interdit l’avortement, avec des exceptions, pour les fausses couches, pour les viols, pour l’inceste, ces exceptions cherchent à faire oublier la brutalité de l’interdiction.
Les exceptions liées aux viols et à l’inceste, il faut les prouver en justice, au moins entamer une procédure. Vous savez combien de temps ça prend ? Des mois, des années. Et la grossesse continue. C’est une manière de fuir l’horreur de l’idée même qui est derrière cette manière de penser. C’est une manière d’empêcher les docteurs de faire quoi que ce soit, de les faire hésiter avant d’agir, et de fait, d’empêcher l’avortement.
Se mettre à débattre des cas légitimes, c’est ne pas parler à la base du traitement inadmissible qu’on réserve aux femmes, c’est accepter que les femmes doivent s’expliquer sur ce qu’elles traversent. Situation atroce : il faudra donc s’expliquer, donner des informations au sujet de sa vie personnelle et privée au gouvernement, juste pour avoir le droit d’être acceptée dans une catégorie légale qui donne la possibilité d’un recours exceptionnel, pour pouvoir prendre une décision au sujet de sa propre vie, de sa propre santé, de son propre corps.
On s’en fiche des exceptions : ce n’est pas la question. C’est un piège. Sinon quoi ? L’avortement serait uniquement acceptable quand quelque chose de vraiment horrible est arrivé d’abord : urgence médicale, viol, inceste. Alors seulement à ce moment-là l’acte terrible de terminer une grossesse serait envisageable ? Non ! C’est toujours acceptable pour une femme de prendre le contrôle de son propre corps. La présentation sous forme de cas légitimes est abject.
Aucune femme ne doit jamais être dans l’obligation de divulguer des informations détaillées et personnelles au gouvernement ou à une quelconque instance administrative avant d’avoir le droit de faire des choix qui concernent son corps.
Tant qu’on y est : l’extrême-droite, qui veut forcer les femmes à endurer ce genre de parcours, ce sont les mêmes que ceux qui pleuraient parce que porter un masque, se faire vacciner, ce serait une invasion de leur espace privé – alors qu’il s’agissait de se protéger d’un virus ultra contagieux et qui provoque des morts. Souvenez-vous, ils criaient à la violation de leurs libertés personnelles. Mais enfin, vous imaginez une seconde ce qu’un corps endure à travers une grossesse, pendant neuf mois ? Et pendant un accouchement ? Dans un pays, la France, où les maternités sont en difficulté. En plus de ça, le système de sécurité sociale ne permet pas d’assurer à la mère d’être à l’abri, et on compte sur elle pour trouver l’argent pour élever son enfant.
C’est une question d’indépendance pour les femmes. L’objectif premier de ce type de discours est de contrôler les femmes, et leur destin. Ça part en réalité de là. Et quand Marine Le Pen parle d’avortement de confort, c’est bien ça en réalité son objectif premier. Rien d’autre.
Quelques heures après que Gardner a parlé, un amendement a été de justesse adopté qui autorise l’avortement en cas de viol ou d’inceste, seulement jusqu’à 14 semaines, seulement si le viol ou l’inceste a fait l’objet d’une plainte auprès de la police.
L’autonomie des femmes ? Rien à faire. Leur liberté ? Disparue. Et le secret médical entre patiente et médecin ? Peu importe.
C’est pourtant exactement ce que les libéraux, comme Macron, prétendent combattre : le gouvernement qui contrôle ta vie. Ils veulent limiter l’action de l’État. Mais ça, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas quand il s’agit de nos libertés, de nos droits, de nos corps. Ils veulent au contraire un État fort quand il s’agit d’impacter nos vies, nos libertés, nos décisions, à nous autres personnes ordinaires qui travaillons pour subvenir à nos besoins. Ils veulent limiter le rôle de l’État dans un cas, et un cas seulement : uniquement pour les grandes entreprises. Aucune intervention du gouvernement, aucune loi pour nous protéger. Uber. Pas de salaire minimum, pas de sécu. Surtout rien qui pourrait réguler les entreprises et affecter les profits qu’elles sont susceptibles de faire. Mais quand c’est nous ? Ils en veulent encore de la puissance de l’État. Ne pensez pas que ces libéraux de pacotille en ont quoi que ce soit à faire du droit à l’avortement. Et restons sur nos gardes. Trois ministres sont des anciens de la manif pour tous : Gérald Darmanin, Caroline Cayeux et Christophe Béchu. Et les autres acceptent.
La réalité, maintenant en Virginie de l’Ouest, quand tu as été victime d’inceste à 12 ans, c’est que si tu ne vas pas porter plainte auprès de la police, tu dois avoir le bébé. Pour eux, la grossesse est une conséquence du sexe, et si tu ne veux pas avoir d’enfant alors tu n’as qu’à pas avoir de relation sexuelle. La grossesse pour eux est une punition. Le bébé est une punition qui suit les rapports sexuels – qu’ils aient été consentis ou non. C’est la réalité du projet théocratique américain, pas si éloigné de celui qu’on retrouve en France à l’extrême-droite, et qui laisse indifférent les Macron qui se réclament du libéralisme.
Les éléments de langage, « avortement de confort », « abus », ne servent qu’à faire passer ce genre de projet où un destin social est attribué aux femmes, qu’elles le veuillent ou non.
Tu peux laisser un message. Ça fait plaisir !
Bien dit et courage à Addison Gardner et toutes les femmes qui luttent et doivent faire face à tant de violence, en France et outre-Atlantique, pour la libre-disposition de leur corps et la libre-détermination de leur vie.
"N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant" Simone de Beauvoir
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
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