On en a entendu parler ces derniers temps, les mégabassines font polémique. Deux modèles s’affrontent : d’un côté cette idée qu’on a besoin de réserves d’eau, appelées par ses défenseurs « réserves de substitution », parce qu’il faut trouver l’eau nécessaire pour maintenir l’industrie de l’alimentaire telle qu’elle se pratique ; de l’autre, une critique de ce modèle d’alimentation qui débouche sur le refus des mégabassines, vues comme une conséquence d’un modèle délétère.
Il s’agit, on l’a compris, d’énormes réserves d’eau, directement pompées depuis les nappes phréatiques. Or, ces réserves sont destinés à des acteurs de l’agro-industrie, pour qu’ils puissent pérenniser leur modèle économique même en cas de sécheresse. Privatisation de l’eau, disent les uns. Solution pour nourrir la population, disent les autres.
Question, au fond, de vision du monde : le ministre de l’agriculture Marc Fesneau dit qu’il veut sauver les agriculteurs. Ces méga-bassines, c’est « un plus et un mieux par rapport à la situation actuelle ou la situation d'il y a 10 ans et c'est cela qu'il faut défendre parce que sans eau, il n'y a pas d'agriculture ».
Il ne précise pas qu’il parle de certains agriculteurs. Il veut sauver les agriculteurs qui se plient au modèle d’agriculture précisément dénoncé par les opposant⋅es. Il veut sauver certains agriculteurs, et surtout une certaine agriculture – et comment veut-il les sauver ? En faisant abstraction du réchauffement climatique qui a commencé – ou en tout cas, si on veut prendre sa défense, en pariant sur des solutions technologiques comme les mégabassines plutôt qu’en critiquant le modèle d’agriculture dominant.
Il ne répond donc pas à la critique qui lui a été faite par les quelques 7 000 manifestant⋅es motivé⋅es jusqu’à créer un campement légal non loin du projet de mégabassine de Sainte-Soline. Campement légal puisque situé sur le terrain… d’un agriculteur opposé au projet de mégabassine.
Il ne répond pas aux inquiétudes des agriculteurs présents, d’ailleurs, qui faisaient partie des manifestants. La plupart des agriculteurs n’ont pas le choix, sont pris à la gorge par le modèle agricole industriel. Les autres, moins de 4 %, sont certes défendus par le ministre de l’agriculture, et vont directement bénéficier des mégabassines, mais dans une solution technique court-termiste, au prix d’une fuite en avant puisque rien ne garantit objectivement la possibilité de maintenir ce modèle agricole.
Car il s’agit bien ici d’une question sur l’avenir de l’agriculture qui est posée au travers du cas emblématique de la mégabassine de Sainte-Soline : soit on continue l’agriculture intensive et industrielle telle qu’elle se pratique depuis les années 60, soit on a recours à des pratiques agricoles où la ressource en eau est partagée entre tous les agriculteurs, et ne devient pas une propriété accaparée par ceux-là même qui la raréfient.
Le gouvernement fait le choix de la violence et de la confrontation. La préfecture a refusé de recevoir les opposant⋅es au projet, le ministre de l’agriculture passe plus de temps à parler des gendarmes et de sa vision de ce que doit être un rassemblement qu’à parler d’agriculture. C’est la stratégie du choc. Une stratégie qui fait des blessés, qui envoie des opposants politiques à l’hôpital, et qui répond sur la forme plutôt que sur le fond.
Il est absolument clair que si le gouvernement fait ce choix, c’est que l’urgence climatique et la compréhension des enjeux par la population sont telles que c’est la seule solution qu’il trouve pour maintenir son cap. Sur le fond, le seul argument qu’on arrive à déceler, et encore faut-il le chercher, c’est que les méga-bassines, certes ne sont pas une bonne solution, mais qu’on n’aurait rien d’autre pour le moment. « Il faut construire des alternatives mais ce n'est pas en 24 mois ou en 12 mois que cela se construit », affirme Marc Fesneau, ministre depuis 2018.
L’exécutif ne sait plus comment sauver l’industrie agricole de l’ancien monde. Complètement à court d’arguments, ils espèrent décourager toute contestation. Que peuvent-ils répondre quand des agriculteurs donnent l’argument phare : les mégabassines ne résolvent aucun problème, même de manière temporaire. Pire, elles contribuent au problème : « les mégabassines accentuent la perturbation du cycle de l'eau en participant au maintien d'un système agricole qui stérilise les sols et nécessite des volumes de prélèvement d'eau toujours plus importants. » (Confédération Paysanne)
Le projet de construction d'une usine Bridor à Liffré, par le groupe Le Duff, pose également au cœur des enjeux celui de l’alimentation, et celui de la privatisation de la ressource eau.
200 000m3 d’eau par an pour créer des viennoiseries surgelées destinées à l’exportation, voilà le projet, soutenu par Loïg Chesnais-Girard, le président de la région Bretagne et ancien maire de Liffré. L’argument retenu par les défenseurs du projet est celui de la création d’emplois.
Peu importe tout le trafic routier qui sera généré par le projet, peu importe les plus de 20ha artificialisés entre la forêt de Liffré et la forêt de Rennes, peu importe l’impact écologique dramatique pour ce coin de verdure entre Rennes et Fougères. L’emploi avant tout.
Mais peut-on raisonnablement trouver ce genre d’emploi sensé ? Un des schismes générationnel assez clair entre le monde d’avant et le monde qui vient, c’est de trouver qu’on a mieux à faire de nos vies que de participer activement à la destruction de la planète ; refus de mouiller la chemise et fuite du travail selon l’ancien monde.
Loin de blâmer les travailleurs de l’absurde, les activistes comprennent bien que c’est un choix politique qui est en cause. Un choix politique différent, comme celui d’une agriculture vertueuse, créerait en réalité un besoin d’emploi. Ainsi, le programme de LFI prévoit la création de 300 000 emplois dans le secteur agricole. Mais un secteur agricole qui ne serait pas laissé à l’abandon du marché de la malbouffe et de la destruction de la nature.
Les nouvelles générations ne transigent plus avec les choix politiques quand l’écologie est en jeu : éviter les épidémies, lutter contre l’exploitation animale, produire de la nourriture biologique, saine, et locale – c’est non seulement possible, mais c’est la seule solution pour sortir de l’impasse de l’industrie alimentaire. Et c’est vecteur d’espoir : on est bien davantage motivés pour travailler à la construction de cet avenir-là, à juste titre.
La grande crainte du gouvernement, c’est qu’on les voit faire. Mais pourquoi défendent-ils des projets comme Bridor ? Par pur clientélisme, pour faire plaisir à un électorat dépassé ? Non ! Il y a une explication beaucoup plus simple. Pour servir les intérêts de quelques grands groupes qui ne vivent plus que sous respirateur dans un monde qui leur échappe peu à peu.
Dans ce cas, la réponse par la matraque et la répression est non seulement violente et injuste, mais c’est pire : elle sert les intérêts de ceux qui veulent qu’on se concentre sur la répression plutôt que sur le fond des affaires, tant ils savent que le fond est perdu d’avance. Le monde qui se meurt exhale ses derniers poisons, abrégeons ses souffrances.
2008 : l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes jugé d’utilité publique après 179 décisions de justice
2009 : début de l’occupation, début de la ZAD
2010 : concession à Vinci, qui remporte l’appel d’offre pour 55 ans
2012 : l’opération de gendarmerie, opération César, pour déloger les occupant⋅es se solde par un échec, une manifestation sur place rassemble 40 000 personnes, Jean-Marc Ayrault est contraint d’ouvrir une « commision de dialogue »
2015-2016 : après plusieurs années d’atermoiements, Manuel Valls annonce la reprise des travaux, nouvelles manifestations, difficultés à déloger les occupants malgré les lourds effectifs de gendarmerie impliqués
2016 : création d’une ZAD à Bure contre le projet de site d’enfouissement des déchets nucléaires
2018 : abandon du projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes
2018 : expulsion de la ZAD à Bure, le gouvernement espère mettre un terme aux occupations en milieux ruraux
2018 : le groupe Le Duff annonce la construction d’une usine Bridor à Liffré, 21ha d'artificialisation, 300 000m3 de consommation annuelle d'eau pour de la malbouffe destinée à l'exportation
22 août 2022 : annonce du début des travaux pour la mégabassine de Sainte-Soline, des centaines pourraient suivre
24 septembre 2022 : 300 personnes contre le projet Bridor à Liffré
28 octobre 2022 : un rassemblement à Sainte-Soline rappelle Notre-Dame-des-Landes, 7000 manifestant⋅es, 1500 gendarmes sur place
5 novembre 2022 : rassemblement annoncé contre le projet d’usine Bridor à Liffré
Tu peux laisser un message. Ça fait plaisir !
En ce moment il y a une mobilisation contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
Notre ligne politique - À propos de nous - contact@vindicte.com