Le 1 janvier 2022 à 19h40
Julien
Militant
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Dans L’institution imaginaire de la société (1975), Cornélius Castoriadis insiste sur le rôle de l’imaginaire dans la capacité qu’a la société à se définir sans cesse. Il n’y aurait pas un problème posé dans l’absolu, inspiré de lois naturelles, de besoins biologiques (c’est la vision fonctionnaliste qu’il critique) mais plutôt une dynamique qui ferait de la société entière une réponse permanente à un problème qui se pose à mesure qu’il est découvert, à mesure que l’on cherche une solution. Voici un extrait plutôt éloquant :
L’humanité a faim, c’est certain; Mais elle a faim de quoi, et comment ? elle a encore faim, au sens littéral, pour la moitié de ses membres, et cette faim il faut la satisfaire certes. Mais est-ce qu’elle n’a faim que de nourriture ? En quoi alors diffère-t-elle des éponges ou des coraux ? Pourquoi cette faim, une fois satisfaite, laisse toujours apparaître d’autres questions, d’autres demandes ? Pourquoi la vie des couches qui, de tout temps, ont pu satisfaire leur faim, ou des sociétés entières qui peuvent le faire aujourd’hui, n’est-elle pas devenue libre – ou redevenue végétale ? Pourquoi le rassasiement, la sécurité et la copulation ad libitum dans les sociétés de capitalisme moderne (un milliard d’individus) n’ont-ils pas fait surgir des individus et des collectivités autonomes ? Quel est le besoin que ces populations ne peuvent pas satisfaire ? Que l’on dise que ce besoin est maintenu constamment insatisfait par le progrès technique, qui fait surgir de nouveaux objets, ou par l’existence de couches privilégiées qui mettent devant les yeux des autres d’autres modes de le satisfaire – et l’on aura concédé ce que nous voulons dire : que ce besoin ne porte pas en lui-même la définition d’un objet qui pourrait le combler, comme le besoin de respirer trouve son objet dans l’air atmosphérique, qu’il naît historiquement qu’aucun besoin défini n’est le besoin de l’humanité. L’humanité a eu et a faim de nourriture mais elle a eu aussi faim de vêtements et puis de vêtements autres que ceux de l’année passée, elle a eu faim de voitures et de télévision, elle a eu faim de pouvoir et faim de sainteté, elle a eu faim d’ascétisme et de débauche, elle a eu faim de mystique et faim de savoir rationnel, elle a eu faim d’amour et de fraternité mais aussi faim de ses propres cadavres, faim de fêtes et faim de tragédies, et maintenant il semble qu’elle commence à avoir faim de Lune et de planètes. Il faut une bonne dose de crétinisme pour prétendre qu’elle s’est inventé toutes ces faims parce qu’elle n’arrivait pas à manger et à baiser suffisamment.
L’institution imaginaire de la société, Seuil, 1975
pages 203-204
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
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