Le 1 janvier 2022 à 20h
Julien
Militant
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Les normes sociales, comme beaucoup d’autres phénomènes sociaux, sont les résultats imprévus, inattendus des interactions entre individus. Il a été soutenu (Bicchieri 2006) que les normes sociales doivent être comprises comme une sorte de grammaire des interactions sociales. Comme une grammaire, un système de normes spécifie ce qui, dans une société ou un groupe, est acceptable ou non. De manière analogique à la grammaire, ce n’est par le produit d’un plan ou d’un dessein humain. Cette vue suggère qu’une étude des conditions par lesquelles les normes sont créées, à l’opposé de celle qui met l’accent sur les fonctions remplies par les normes sociales, est importante dans le but de comprendre les différences entre les normes sociales et les autres types d’injonction, comme l’impératif hypothétique, les codes moraux et les règles juridiques.
Un autre problème important souvent confus dans la littérature des normes est la relation entre les croyances normatives et le comportement. Certains auteurs identifient les normes avec les patterns observables, récurrents de comportement. D’autres se focalisent sur les croyances et les attentes normatives. Tous trouvent ça difficile d’expliquer l’écart (variance) dans le comportement induit par la norme, et chacun propose une explication de la conformité qui est au mieux partiale. Bien qu’une explication purement comportementale des normes soit difficile à soutenir, il est aussi vrai que les croyances normatives seules ne peuvent soutenir une norme.
Il y a trois théories canoniques principales de la conformité : la socialisation, l’identité sociale et le choix rationnel. Puisque toutes ces théories produisent des affirmations vérifiables à propos du comportement conformiste (conforming behavior), ils devraient être évalués à la lumière d’une large masse de preuves expérimentales pour savoir si et comment les les croyances normatives affectent les comportements. Les visions alternatives adoptent une approche différente, en considérant les normes comme des faisceaux (cluster) d’attentes d’auto-accomplissement (Schelling 1966). De telles attentes provoquent un comportement qui les renforce, mais un élément crucial dans le maintien de la norme est la présence de préférences conditionnelles pour la conformité. Seule la présence conjointe de préférences conditionnelles pour la conformité et la croyance que les autres personnes vont se conformer produira un accord entre les croyances normatives et le comportement (Bicchieri 2006).
Puisque les normes qui sont intéressantes à étudier sont celles qui émergent sans plan ni dessein des interactions des individus (Schelling 1978), une tâche théorique importante est d’analyser les conditions par lesquelles de telles normes sont créées. Parce que les normes sont souvent censées représenter une solution au problème de la mise en place et du maintien de l’ordre social, et que ordre social requiert la coopération, l’intérêt principal des études qui tentent de modéliser l’émergence et les dynamiques des normes a été concentré sur les normes de coopération. Les normes de l’honneur, de loyauté, de réciprocité et de promesse, pour citer quelques normes coopératives, sont cruciales pour le bon fonctionnement des groupes sociaux. Une hypothèse est qu’elles émergent dans des groupes petits, soudés dans lesquels les gens entretiennent des relations quotidiennes les uns avec les autres (Hardin 1983, Bicchieri 1993). La théorie des jeux évolutionnistes rend possible une affirmation plus rigoureuse de cette hypothèse, depuis lors les jeux répétés sont utiles s’ils sont une approximation simpliste de la vie dans un groupe soudé (Axelrod 1984,1986 ; Skyrms 1996 ; Gintis 2000). Le cadre traditionnel de la théorie des jeux a été élargie par une explication de l’apprentissage dans les jeux répétés. Dans les rencontres répétées, les gens ont l’opportunité d’apprendre chacun du comportement de l’autre, et de s’assurer un pattern de réciprocité qui minimise la probabilité de mauvaise compréhension (misperception). Pour être efficaces, les normes de réciprocité, comme les autres normes coopératives, doivent être simples. La punition différée et disproportionnée, tout comme la récompense tardive, sont difficiles à comprendre et, pour cette seule raison, souvent inefficaces. Les normes coopératives qui sont possibles de développer dans les groupes soudés sont les plus simples, et cette prévision est facilement vérifiable (Alexander 2000, 2005, 2007).
Bien que les normes se développent dans des groupes petits et soudés, ils se répandent souvent au-delà des frontières étroites du groupe original. Le défi par conséquent devient celui de l’explication des dynamiques de propagation des normes des petits groupes jusqu’aux populations. Les modèles de l’évolution ont été introduits pour expliquer la propagation des normes (Skyrms 1996, 2004 ; Alexander 2007 ; Gintis 2000).
Si les normes peuvent prospérer et se répandre, elles peuvent aussi disparaître. Un phénomène mal compris est le changement soudain et inattendu de patterns de comportements bien établis (Mackie 1996). Par exemple, fumer en public sans demander la permission est rapidement devenu inacceptable, et il y a seulement quelques années personne ne se serait inquiété d’utiliser un langage genré. On pourrait attendre des normes inefficaces (comme les normes discriminatoires contre les femmes ou les minorités) qu’elles disparaissent plus rapidement et avec une fréquence accrue que les plus efficaces. Cependant, Bicchieri (2006) fait remarquer que l’inefficacité n’est pas une condition suffisante à la disparition d’une norme : en fait, c’est seulement une condition nécessaire. C’est ce qui peut se voir le mieux par l’étude de la corruption. Il y a beaucoup d’exemples, passés et présents, de sociétés uniformément corrompues. La corruption entretient des coûts sociaux immenses, mais les coûts – même quand ils tiennent une société au bord du gouffre – ne sont pas assez pour générer une révision du système. Bicchieri et Rovelli (1995) ont démontré que la corruption peut être un équilibre instable dans une population fixe. Dans des cadres plus réalistes, où la population est variable, Bicchieri et Duffy (1997) montrent qu’une société peut fluctuer entre des norme sociales « honnêtes » et corrompues, sans aucun état stable.
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
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