Le 4 août 2022 à 14h57
Solitude
Communiste acharnée
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Le 4 août 1789, les privilèges des nobles ont été abolis. Il faudra 4 ans supplémentaires pour qu’un décret valide cette abolition. Mais même avec un décret, certains privilèges résistent, parce qu’ils ne sont pas codifiés dans la loi. Combien de temps faudra-t-il pour que l’abolition des privilèges devienne une réalité ?
Pendant l’été 1789, la Révolution suivait son cours. Les paysans étaient effrayés à l’idée que les nobles se vengent du 14 juillet et brûlent leurs récoltes. Alors les paysans prennent les devants et s’arment. Finalement, ce sont eux qui attaquent la noblesse – ils attaquent les châteaux et les seigneurs, un peu partout en France. Souvent, ils se contentent d’humilier les seigneurs – peu de violence physique.
Mais la peur change de camp.
Les nobles, d’eux-mêmes, renoncent à leurs privilèges – à ces droits et avantages matériels qu’ils détenaient en raison de leurs statuts : droit de chasse, banalités (moulins, fours), dîme. Il faut s’imaginer les nobles qui vont à l’assemblée et s’auto-flagellent. « Un peu comme si là Bernard Arnault montait à l’hémicycle et rétablissait l’ISF! », résume Mathilde Larrère.
Il faudra attendre encore 4 ans avant que l’abolition ne soit vraiment effective.
Si certains privilèges peuvent être abolis par décret, d’autres ne sont pas codifiés, voire sont invisibles. C’est l’apport de Peggy McIntosh, qui a parlé la première de privilège blanc et de privilège mâle en 1988. On ne s’éloigne même pas du sens historique en disant cela. Le CRTF définit ainsi un « privilège », au sens historique :
Droits, avantages matériels ou honorifiques, concédés à certaines personnes en raison de leur naissance, de leurs fonctions, de leur appartenance à certains corps (magistrature, clergé, corporations), ainsi qu'à certaines institutions, certaines villes ou provinces.
Pour lutter contre les inégalités réelles, encore faut-il les identifier. La dîme, c’est facile : ça s’appelait littéralement un privilège. Mais tous les privilèges ne se présentent pas comme tels. C’est une des grandes naïvetés de la République d’oublier que décréter la fin des privilèges ne fait pas disparaître instantanément toutes les inégalités. D’ailleurs, les inégalités persistent.
L’abolition des privilèges n’est donc pas terminée. Et lutter contre les inégalités, réellement, ça demande de faire la chasse aux privilèges. Donc, de comprendre les mécanismes de ces inégalités pour viser juste dans la loi. Certains privilèges relèvent de la coutume, du préjugé, de la naissance, des rapports socio-économiques. En d’autres termes, on en retrouve la trace dans toutes nos pratiques sociales et individuelles.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? On parle d’avantages sociaux, politiques ou économiques conférés aux personnes blanches ou aux hommes, mais que toute chose égale par ailleurs, on ne conférerait pas aux personnes non blanches ou aux femmes (ou à un autre groupe minoré).
Des exemples ? Avoir, dans la vie courante, une relation cordiale avec la police ; être jugé par les professeurs et l’école sur mon travail, sur ce que je dis et fais, et non sur mon apparence, sur mes vêtements ; être pris au sérieux si je parle de mon travail ; être validé dans mes idées, dans mon travail, par ma famille et par les quidams ; me sentir autorisé à marcher seul dans la rue la nuit ; pouvoir exprimer mes émotions sans être qualifié d’« hystérique » ou de « folle » ; être serein voire ignorer la police chaque fois que je la croise ; être serein à l’idée de me retrouver au milieu d’un groupe du sexe opposé ; m’exprimer, dans un groupe, d’une voix qui est entendue et prise au sérieux ; avoir grandi avec des figures, à la télévision, dans les jeux vidéos, qui représentent ma race ; pouvoir ignorer le racisme ou le sexisme parce que ça ne me concerne pas ; savoir que je ne serai certainement jamais violé ; être encensé parce que je me renseigne sur le racisme ou sur le sexisme, etc.
Ces privilèges passent complètement inaperçues aux yeux de celles et ceux qui ne font pas partie du groupe minoré. Souvent même pour les personnes qui subissent ces inégalités, elles sont invisibles parce que considérées comme normales. C’est l’intégration de la violence. Parce que ne pas voir les privilèges qu’on a mentionnés, c’est considérer que le groupe privilégié et ses pratiques, c’est la norme. L’intérêt de parler de privilège, c’est qu’on rend visible l’injustice fondamentale dont bénéficient les dominants au détriment des groupes minorés.
Les paysans s’étaient juste moqués des seigneurs en les humiliant publiquement. C’est tout. Ceux qui les avaient exploités cruellement et injustement, ceux qui les avait méprisés, ils les avaient à leurs bottes, et ils ne les ont pas violentés physiquement, ils ne les ont pas tués, ils en sont restés là. Fondamentalement, l’Histoire montre que les personnes exploitées sont bonnes et gentilles. Elles ne veulent même pas de mal à ceux qui les exploitent. Elles veulent la justice. Il faut parler de privilège pour montrer la profonde injustice dont bénéficient non seulement les riches – eux, on les voit bien – mais aussi les hommes et les blancs. Tant qu'on ne combat pas les privilèges, les privilégiés ne méritent pas la gentillesse et la bonté de celles et ceux qu’ils oppriment.
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
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