Le 1 janvier 2022 à 19h38
Julien
Militant
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Comment les normes sociales nous empêchent d’avancer et comment la pseudo-raison renforce cette traîne.
On pourrait partir de l’idée que tous les goûts sont dans la nature et que comme les couleurs on n’en discute pas. Mais le goût comme tous les sens n’est pas immuable et dépend de normes. Je voudrais refermer certains débats stériles qui empêchent les véritables discussions de prendre l’ampleur qu’elles demandent. Il s’agit donc d’en finir avec des comportements qui se veulent rationnels, qui se donnent l’apparence d’une réflexion et font en cela appel à des raisonnements. Mais la logique qui est à l’œuvre n’est là que pour cacher des attitudes d’hypocrisie et d’indifférence. De quoi parle-t-on ? Il y a des luttes politiques qui se jouent sur le terrain des normes sociales. L’écologie, le féminisme, la défense du droit des animaux sont les exemples que nous suivrons.
L’idéologie libérale se nourrit volontiers de la diversité d’opinions nécessaire à ce qu’elle ose appeler démocratie. Et cette réduction simpliste de la démocratie à la pluralité d’expressions politiques laisse la place sur le plan éthique au relativisme, qui consisterait à dire que tout se vaut, ou au nihilisme qui consisterait à dire qu’il n’y a pas de bien. Ces deux positions peuvent facilement se rejoindre si on en reste à ces définitions, et on en restera là. Je tiens à critiquer la position individualiste qui consisterait à considérer telle ou telle attitude comme relevant du choix personnel, et s’excluant ainsi du champ politique. Si je me dis écolo, féministe ou végétarien, ce n’est pas en raison d’un choix éthique au sens ou j’aurais choisi tel ou tel moyen contingent pour atteindre un but nécessaire. Chacun de mes choix en tant que tel se veut nécessaire et dépassant ma simple sphère personnelle individuelle. Je ne veux m’attirer les louanges de personne. Je n’en ai rien à foutre que les gens trouvent ça bien si cela ne les fait pas changer ne serait-ce qu’un minimum. C’est cela que j’appelle l’hypocrisie. Je ne veux pas entendre dire que telle ou telle prise de position affirmée et pleinement assumée à travers mon comportement ne relève que d’un choix personnel et que « chacun fait ses choix ». Non. Pour des raisons stratégiques ou diplomatiques je ne vais pas me braquer. Car puisque par mon choix de mode de vie, de mode d’être je souhaite incarner un certain modèle, il serait contre-productif d’être sans cesse dans l’opposition. Pourtant c’est bien cela que je vise : la confrontation d’une norme marginale et émergente que je porte face à des normes sociales profondément ancrées. Et en affirmant ce choix il serait hypocrite à mon tour de dire que les choix que chacun de vous faites ne m’importent pas. Puisque justement j’aspire à changer les normes sociales et que celles-ci s’incarnent en chacun de nous alors je ne saurais être indifférent aux comportements de tout un chacun. Un écologiste ne veut pas d’agriculture biologique pour lui-même mais bien pour toutes et tous ; une féministe ne veut pas la fin de la domination du masculin sur sa personne mais sur l’ensemble du genre ; et un défenseur des animaux vegan ne peut s’en tenir à la satisfaction d’être sorti du système d’oppression lié à l’industrie animale si ce système continue à exister.
Ensuite existe une forme de l’hypocrisie plus travaillée. Elle s’applique à élaborer des raisonnements qui justifient indirectement les normes sociales existantes en tentant de disqualifier la logique des luttes et normes alternatives qu’elles portent. Si l’on prend l’exemple du féminisme, un défenseur du patriarcat, puisqu’il lui sera difficile physiquement de changer ses comportements, ses attitudes, va préférer chercher à discréditer la lutte féministe et la constituer comme incohérente, incomplète ou imparfaite pour justifier le fait de ne pas agir, même s’il sait pertinemment que les revendications portées sont légitimes. Celui qui ne veut pas changer va alors caricaturer la posture féministe pour la rendre inaudible et l’éviter de remettre en question la moindre de ses habitudes. Il va pouvoir également se montrer hypocrite en se disant d’accord en théorie mais en refusant la possibilité pratique. L’ironie consiste alors dans ce tour de passe-passe à justifier l’inertie des normes sociales par le fait que ce sont des normes sociales. Mais c’est justement là que nous pointons, en tant que militants et militantes, la capacité d’action individuelle. Mais ce qui m’agace plus particulièrement c’est une stratégie argumentative qui consiste à spéculer sur des cas limites pour montrer les limites d’une théorie, l’infirmer et montrer son incapacité à répondre à des cas pratiques. Dans le cas du féminisme il va s’agir de prendre un exemple extrême. On entend alors souvent dire que le matriarcat serait autant sexiste que le patriarcat et que le féminisme tend vers un tel système, ainsi l’argument consistera à dire qu’il est difficile de se dire féministe car ce serait vouloir la domination féminine. Avec la question de l’anti-spécisme on retrouve la même logique. Ainsi prenons le cas d’un végétarien qui voudra attaquer la position spéciste qui consisterait en théorie à manger de la chair animale sans considération aucune éthique du fait que l’animal en question appartient à une autre espèce. Celui qui voudra défendre son bout de viande poussera la réflexion jusqu’à ses limites jusqu’au cas absurde où il devra choisir entre la vie d’un moustique et celle d’un humain, cas où il pourra revendiquer sa posture spéciste de privilégier l’humain. Mais ces argumentaires qui se donnent l’air d’écouter et de comprendre les réflexions féministes ou antispécistes ne sont que des caricatures qui manquent de profondeur. Est-on toujours de bonne foi ? De quoi parle-t-on quand on se dit féministe ou antispéciste ? De la parité homme-femme au parlement européen ? De la sauvegarde des dix derniers tigres albinos ? Si on ne peut se dire indifférent à ces questions il est clair que le sexisme et le spécisme concerne avant tout des situations beaucoup plus générales que les cas particuliers qui sont invoqués pour discriminer les luttes. Le sexisme c’est des hommes qui dominent, oppressent, psychiquement et physiquement frappent et violent les femmes qui les entourent. Le spécisme est avant tout le fait de l’exploitation animale dans l’industrie de la viande et de sous-produits. Voilà de quoi on parle. Voilà les vraies questions.
Alors pourquoi cette hypocrisie ? Une indifférence ? Si c’est le cas, et je le pense, elle n’est pas assumée. Parce que c’est difficile psychologiquement d’affirmer son indifférence à la pauvreté, la misère, l’oppression, le meurtre institutionnalisé. C’est difficile parce qu’une telle indifférence est vue socialement comme du mépris et que le mépris semble se rapprocher davantage du vice que de la vertu. Mais puisque nous vivons dans une société du spectacle et que la vertu reste une valeur prisée, il faut maquiller cette indifférence avec l’hypocrisie. Se donner l’air de s’intéresser aux enjeux défendus par ces normes alternatives, se donner l’air même d’en accepter la nécessité tout en concluant par un pessimisme de l’action. On dit « c’est bien » et on aimerait que les choses changent mais on ne change pas soi-même. C’est là que l’idéologie libérale fait le plus de dégâts. Elle réussit à faire en sorte que l’on sache que les individus peuvent changer les choses, mais on maintient une concurrence qui empêche les premiers de bouger. Quelques uns et quelques unes s’efforcent d’être l’étincelle qui mettra le feu aux poudres, mais la question est alors de savoir à partir de combien, à partir de quelle quantité une norme émergente marginale peut-elle se constituer comme norme instituée ?
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
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