Le 1 janvier 2022 à 19h13
Julien
Militant
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On ne croit que ce que l’on voit. Il y a dans cet dicton l’idée d’une force inégalable de l’expérience visuelle, de ce qui est perceptible par nos sens. Si on en reste à cela, nous sommes empiristes. Pourtant, l’imagination et la connaissance nous apprend à voir au-delà des apparences.
Le visible est ce que l’on voit, l’invisible ce que l’on ne voit pas, qui est caché.
Mais on peut apprendre à voir ce qui est caché, non pas le percevoir directement mais tout en sachant qu’il reste caché, en avoir pleinement conscience. N’est-ce pas alors cela « voir » ? C’est-à-dire avoir conscience de la présence d’une chose. Vous voyez ce que je veux dire ? L’expression fait sens alors qu’exclusivement utilisée à l’oral elle ne renvoie à aucun symbole visuel. Cela confirme donc l’idée que le visible n’est pas seulement ce qui nous est donné par les sens, comme un chaos sensible brut, pur auquel nous aurions accès ou non. Il s’agit en effet déjà de créer du sens, d’interpréter. Ainsi le visible n’est pas seulement le matériel et l’invisible n’est pas simplement l’immatériel.
Aujourd’hui ce qui m’apparaît comme le problème principal dans l’écologie politique et la prise de conscience touche précisément à cela. Nous ne voyons pas, non pas parce que nous ne savons pas où regarder, mais parce que nous ne voulons pas savoir, nous ne voulons pas voir. Et quand je dis nous évidemment je pense plutôt « vous » et vous pensez « eux ».
Le nucléaire est un bien triste exemple de cette conscience qui se refuse de voir. Les effets sont matériels, palpables, ils sont physiques, ils existent. Pourtant ils ne sont pas complètement visibles. La radioactivité ne se voit pas, elle peut se matérialiser par des détecteurs, qui la rendent alors visibles mais puisqu’on ne peut jamais voir la radioactivité elle-même que par ses effets, on peut toujours se mentir et se dire que ces effets ne sont pas ses effets.
Les produits que nous achetons sont un autre exemple. Que ce soient les traitements chimiques, les conditions de vie ou de mort des animaux exploités industriellement ou artisanalement, les conditions de vie des ouvriers, etc… tout cela n’est pas visible mais bel et bien matériel, purement matériel. Seulement nous ne voulons pas voir, et il nous suffit de croire que tout va bien pour éviter des problèmes de mauvaise conscience.
Qu’est-ce que la conscience ? Qu’est-ce que la bonne ou la mauvaise conscience ? Être conscient de quelque chose c’est faire une action, sentir une chose et en même temps ressentir un certain effet personnel, subjectif. Avoir bonne conscience serait alors ressentir un certain plaisir au moment de l’accomplissement d’une action tandis qu’avoir mauvaise conscience serait ressentir une gêne ou pourquoi pas même de la peine au moment d’une action. C’est pour cela qu’on préfère ne pas savoir. Car une fois que l’on sait, on n’est pas obligé de changer ses habitudes, seulement nous avons notre conscience qui nous travaille, cela veut simplement dire qu’à chaque fois que l’on fait quelque chose dont on sait des conséquences néfastes, alors qu’avant on préférait ne pas se poser la question de ces conséquences, notre conscience nous rappelle par un sentiment désagréable que nous avons la possibilité d’agir, et avec cette possibilité une certain devoir de changer.
Cette réflexion sur le visible et l’invisible n’est pas du tout métaphysique, vous l’aurez compris. Il ne s’agit pas d’atteindre un absolu, une transcendance… mais simplement de prendre conscience que tout phénomène qui existe est précédé et suivi d’autres phénomènes. Toute action a une cause et est la cause d’autres événements. Rien n’émerge, rien ne surgit, rien ne tombe du ciel.
Les nouvelles technologies sont ainsi ce qu’il y a de plus effarant dans ce mythe de l’apparence, du visible et de l’immatériel. Puisque l’on a accès à un contenu qui est similaire matériellement et potentiellement à des milliards et des milliards de livres avec un simple écran et quelques centimètres cubes d’électronique, l’on s’imagine que ce contenu numérique est immatériel. Je sais que les gens ne sont pas naïfs et se doutent que le contenu du web ne flotte pas dans les nuages mais il faut avouer que l’idée la plus séduisante du moment est bien celle d’un internet propre, écologique, démocratique, etc… parfait en somme. Pour faire simple il faut rappeler que les données stockées pour le web nécessitent d’énormes machineries qui elles-mêmes nécessitent énormément d’énergie, sans compter toute l’énergie qu’il faut pour la fabrication de tous ces ordinateurs, tablettes et téléphones, ni les matériaux, ni la main d’œuvre, etc… alors oui cela sonne comme un discours écologiste redondant, déjà entendu, sur la pollution, la consommation et l’éthique du travail des enfants du tiers-monde. Pourtant si le discours se répète c’est bel et bien que la réalité reste la même. Derrière ces apparences de plus en plus sophistiquées, édulcorées, mirobolantes persistent les inégalités, la domination, la faim, la misère, les maladies, etc… là encore on me dira soit que tout le monde le sait et en a conscience, soit que le tableau n’est pas si noir que ça. Seulement je pense que c’est justement parce que ces injustices restent invisibles qu’elles persistent, et elles restent invisibles parce qu’on ne veut pas les voir et parce qu’on se justifie toujours par le fait qu’elles diminuent, ce qui est logiquement insuffisant, inacceptable, et pratiquement faux.
Prendre conscience de l’invisible, c’est voir au-delà du visible. C’est arrêter de croire à l’immatériel, car tout ce qui est, est matériel. Cela veut également dire que s’engager c’est agir, et qu’agir c’est s’engager. Changer ses idées ne change rien si on ne change que ses idées, il faut changer ses actes. Pour autant les idées sont le fondement même du changement. Les idées se transmettent, elles sont les fondements des projets. Mais les idées bien que semblant immatérielles sont toujours incarnées, portées par des actes et des actrices ou des acteurs, et toujours visibles. C’est aussi cela ne croire que ce que l’on voit, car si tu me dis : je suis ceci ou je suis cela, qu’est-ce qui me le prouve sinon si je te vois être ceci ou être cela ? Et comment ne pas alors comprendre qu’être quelqu’un c’est toujours agir ?
Vindicte - dernière mise à jour le 26 juillet 2024
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